Compétences et autonomie des collectivités locales
J’ai lu avec beaucoup d’attention l’article de M. Moussa Koné-Diallo.
Son analyse très détaillée de la situation financière des collectivités locales est particulièrement intéressante.
Je partage assez largement ses différents constats. Cette contribution ne vise donc pas à contester son propos, mais à le compléter à partir de mon expérience et de quelques éléments de contexte.
Je voudrais d’une part apporter quelques précisions sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités locales et nuancer son propos sur le recul en matière de décentralisation que constitue selon lui l’attribution d’une part d’impôts nationaux aux collectivités locales.
I/ Quelques précisions sur les compétences des Régions et des Départements
Il est important tout d’abord de rappeler que depuis la loi NOTRe du 7 aout 2015, les Régions et les Départements ont perdu la clause générale de compétences. Cela signifie que ces deux collectivités ne sont plus sensées intervenir dans tous les domaines simplement en faisant valoir un intérêt « départemental » ou « régional ». Cette réforme de F. Hollande injustement décriée à l’époque a pourtant permis de réduire les financements croisés entre collectivités locales et a amélioré la connaissance du “qui fait quoi” en matière d’action publique locale. Toutefois, ce principe législatif est parfois “contourné” et les départements qui n’ont plus par exemple de compétences économiques essaient d’intervenir sur le terrain économique via leurs actions dans le domaine du tourisme. En outre, cette réforme ne s’était pas réellement accompagnée d’une réflexion sur le rôle de l’Etat déconcentré et de nombreux doublons existent encore entre l’Etat et les collectivités locales.
Si avec la Loi NOTRe, les régions ont perdu la clause générale de compétences, elles disposent de nombreuses compétences exclusives qui ne sont pas citées dans l’article : les transports et les mobilités qui représentent 30% de leur budget en 2024, les Lycées (17% de leurs dépenses), la gestion d’une partie des Fonds européens (FEDER, une partie du FSE, le deuxième pilier de la PAC à savoir le FEADER) et l’aménagement du territoire.
En ce qui concerne les département, ils ont aussi dans leurs compétences la gestion du SDIS (service départemental d’incendie et de secours).
II/ Modèle de financement et autonomie financière et fiscale des collectivités locales.
Outre les recettes des usagers, les collectivités locales disposent de trois grandes ressources : la fiscalité locale (sur laquelle elles ont en règle générale un pouvoir de taux), les dotations de l’Etat (qui peuvent prendre plusieurs formes) et depuis 2018 des fractions d’impôt national.
Je partage évidemment l’analyse de M. Koné-Diallo sur le fait que le remplacement d’une ressource fiscale comme la Taxe d’Habitation par une dotation de l’Etat constitue un recul majeur pour la décentralisation et l’action publique locale. Dans le meilleur des cas, la compensation se fait à « l’euro-l’euro » la première année mais pas les années suivantes car la dotation reste figée à son niveau initial alors que la ressource fiscale aurait continué de progresser.
En revanche, je considère que l’attribution d’une fraction d’un impôt national en lieu et place d’une ressource fiscale locale ne constitue pas nécessairement un recul pour l’action publique locale.
En Espagne ou en Allemagne qui sont deux pays “très décentralisés” avec notamment un poids considérable des Landers allemands ou des régions autonomes espagnoles dans l’action publique, l’essentiel des ressources locales sont des impôts nationaux. Aucun observateur n’affirmerait pour autant que l’autonomie locale est menacée dans ces deux pays.
En fait, plus que la nature de la ressource fiscale attribuée à une collectivité locale, la question est surtout celle de la dynamique d’évolution de cette ressource et aussi probablement le lien entre cette ressource et le portefeuille de compétences de la collectivité locale.
Dans un schéma idéal, les Régions et les Métropoles pourraient ainsi disposer d’une partie de la fiscalité économique (CVAE, TVA…) et du versement transport ; les Départements de la CSG et les communes et intercommunalités de la taxe foncière.
Le premier pas de cette évolution du modèle de financement des collectivités locales date de la fin du quinquennat de F. Hollande. A l’époque, les Régions avaient négocié avec l’Etat une révision substantielle de leur modèle de financement en obtenant une fraction de TVA.
L’évolution de la TVA reste certes dépendante de la conjoncture économique mais beaucoup moins par exemple que l’IS (impôt sur les bénéfices des entreprises). Sur le moyen et le long terme, elle est la recette fiscale la plus dynamique en France.
L’entrée en vigueur de cette réforme avait été négociée à l’automne 2016 entre l’Etat et les Régions au 1er janvier 2018 et avait été alors sanctuarisée en Loi de finances compte tenu des élections présidentielles d’avril 2017.
C’est cette mise en œuvre décalée qui conduit probablement l’auteur de l’article à considérer que cette réforme est l’œuvre d’Emmanuel Macron. En revanche, son gouvernement avait essayé à l’été 2017 de remettre en cause cette réforme au mépris du respect de la parole de l’Etat. La mobilisation de l’ensemble des Régions toutes tendances politiques confondues avait finalement dissuadé Edouard Philippe, alors Premier ministre, de le faire et il s’était contenté de ponctionner les ressources des Régions de 450 Millions d’euros…
A noter enfin, comme le précise l’auteur de l’article que les départements ont depuis eux aussi obtenu une part de TVA.
La question de l’autonomie financière et fiscale des collectivités locales est d’une grande complexité.
De mon point de vue, elles ont besoin d’une plus grande autonomie dans le choix de leurs interventions. Elles ont besoin de stabilité dans leurs portefeuilles de compétences. Elles ont besoin d’avoir un Etat qui les accompagne dans leur action et qui ne cherche pas en permanence à se substituer à elles ou à les concurrencer. Elles ont besoin d’un Etat qui veille à la légalité de leurs décisions avec discernement et réactivité. Elles n’ont pas forcément besoin d’impôts dont elles décident des taux mais de ressources dynamiques et cohérentes avec leurs compétences.
Gilles Mergy
(ancien Directeur général de l’association des Régions de France 2012-2018)
1 RÉPONSE
Je mentionne simplement le lien de l’article de Moussa Koné-Diallo.auquel cet article fait référence :
https://mieuxvivrefontenay.fr/2025/03/21/levolution-de-la-fiscalite-des-collectivites-territoriales-depuis-2017-une-epee-de-damocles-pour-les-services-publics-locaux/
sur le site MieuxVivreFontenay.fr donc