Et si l’absence de majorité au parlement était une chance pour la démocratie ?
Nous sommes, comme nos pires amis anglais, habitués à vivre avec des majorités parlementaires claires, qui permettent au gouvernement de faire son job sans grosse tempête. Le Général de Gaulle, avec la constitution de la 5ème République, y a veillé.
Aux temps du septennat présidentiel, il pouvait y avoir des cohabitations entre un Président et une Assemblée nationale de bords opposés. Nous l’avons vécu deux fois avec le Président Mitterrand, puis une fois avec le Président Chirac. Cela a obligé le Président à négocier avec le Premier ministre et sa majorité parlementaire. Je n’ai pas le souvenir que cela ait provoqué des traumatismes politiques, sociaux ou sociétaux irréversibles…
Avec le quinquennat, et la coïncidence temporelle des mandats de Président et de Député, cela ne s’est plus reproduit depuis vingt ans. Mais c’est une autre forme de cohabitation qui peut s’ouvrir dimanche prochain : un Président qui devrait composer avec une Assemblée nationale où ses soutiens seraient les plus nombreux, sans pour autant être majoritaires.
Certains, comme l’ex Premier ministre Édouard Philippe, pensent que ce serait catastrophique.
Étant d’un naturel optimiste, je crois que cela peut être une chance pour notre démocratie !
D’abord, constatons que cela a été le cas, ces dernières années, chez nos meilleurs ex-ennemis allemands. Mme Merkel, qui ne peut pas être soupçonnée de sympathie pour la gauche, a réalisé trois de ses quatre mandats de chancelière à la tête d’un parti non majoritaire et d’un gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates… C’est peut-être grâce à cela que son action a été presque unanimement appréciée ?
Evidemment, je ne crois pas qu’il y aura demain un gouvernement de coalition entre Ensemble ! et Les Républicains ou entre Ensemble ! et une gauche modérée, élue ou pas sous l’étiquettes NUPES. Mais Ensemble ! devra apprendre à ne plus gouverner seul, et à vraiment négocier les grandes réformes avec ses oppositions pour qu’elles puissent être votées, sans doute tantôt à droite et tantôt à gauche, parfois, pourquoi pas, « en même temps » par l’une et l’autre…
Je n’oublie pas, dans ce contexte, les négociations entre le gouvernement et les organisations professionnelles ou familiales, ou les ONG (notamment dans le secteur de l’environnement) qui peuvent peser sur le vote des élus.
Je n’oublie pas non plus le rôle des citoyens. Quand la démocratie représentative ne permet pas de trancher, le recours à la démocratie participative est certainement une bonne solution.
Voilà pourquoi je pense que l’absence de majorité au parlement peut être une chance pour la démocratie française.
Michel Giraud
NB : sur ce sujet, je vous invite à lire « Institutions, où est le problème ? » une publication de La Fondation Jean Jaurès sur laquelle j’ai récemment publié une chronique.
3 RÉPONSES
Merci de cet article Michel Giraud. A titre personnel, j’ai longtemps plaidé pour un maintien du scrutin majoritaire pour les élections législatives.
Mais je pense aujourd’hui que l’absence de majorité absolue pour un parti unique peut être en effet une chance pour la démocratie. Vous évoquez les deux périodes de cohabitation. Je me rappelle aussi le deuxième septennat de F. Mitterrand et l’absence de majorité absolue dont disposait Michel Rocard, à l’époque premier ministre. Il avait certes dû recourir au 49.3 lorsque la situation était bloquée (ce qui serait plus difficile aujourd’hui compte tenu de l’encadrement du recours à ce dispositif) mais il avait surtout su trouver des majorités élargies en « parlementant » avec les communistes ou le centre droit. Il avait ainsi redonné sa noblesse au parlement qui n’a pas vocation à seulement voter comme un bon soldat tous les projets de loi du gouvernement. En 2017, E. Macron revendiquait implicitement un héritage rocardien. Il a depuis déplacé l’axe de son mouvement à droite. Mais dimanche prochain, si les Français ne lui donnent pas la majorité absolue, il devra soit trouver une majorité en se rapprochant de LR, soit considérer son opposition de gauche qui sera je l’espère massive comme un interlocuteur responsable et respectable et l’associer à l’élaboration des projets de loi.
La démocratie y gagnera et à court terme cela nécessite une clarification de la part de tous les partis de l’arc républicain. En cas de duel entre le RN et un parti républicain (NUPES, Ensemble, UDI,…), il faut soutenir la ou le candidat républicain. Beaucoup l’ont oublié cette semaine notamment au sein du parti présidentiel malgré quelques voix éclairés comme Clément BEAUNE ou Pap NDIAYE.
Gilles Mergy
Merci messieurs Giraud et Mergy pour vos rappels historiques et votre analyse positive sur la majorité relative du parti d’un gouvernement à l’Assemblée Nationale.
J’espère y voir cet autre point positif. Que l’opposition au gouvernement se fasse dorénavant de façon organisée et constructive avec des représentant.e.s du Peuple plus nombreux , et non plus de façon anarchique et destructrice par des membres du Peuple dans la rue, comme l’a montré le mouvement des gilets jaunes.
La démocratie ne peut exister que si on en respecte les règles et l’anarchie de la rue donne une image déplorable et injuste de la France à l’étranger.
Pour compléter les propos de mon article précédent, ci-dessous une brillante analyse geo politique entendue hier sur France Inter pendant l’excellente émission ‘un jour dans le monde’ de Fabienne Sintes.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-mardi-21-juin-2022-1094260