Quelle est l’utilité d’une opposition municipale ?
Dans toute commune, l’opposition d’un conseil municipal est en infériorité numérique. Affaiblie par ce déséquilibre et la place résiduelle qui lui est faite, son utilité peut être questionnée.
Questionnée d’abord par les intéressés eux-mêmes qui peuvent légitimement se poser la question de l’utilité de leur action quand ils sont malmenés et rabroués en permanence alors même que le travail réalisé impacte largement leurs vies personnelles et professionnelles.
Ensuite, cette fonction peut être questionnée par une majorité qui, étant sortie vainqueure de la dernière élection, ne comprend pas l’utilité de ces élus qui interrogent leurs choix, proposent des projets différents, réfutent leurs affirmations ou encore contestent leurs décisions.
Enfin, questionnée par les citoyens pour qui le fonctionnement du conseil municipal peut sembler obscur et éloigné de leur réalité. D’un point de vue très extérieur, les débats peuvent rapidement apparaître comme des « guéguerres » n’ayant aucun impact sur leur quotidien.
Finalement, à quoi bon cette opposition ? C’est pour répondre à cette question qu’il m’a semblé utile d’interroger son utilité de façon objective afin qu’elle ne soit pas dévoyée par un excès d’autorité de la majorité ou encore par une incompréhension de la part du citoyen.
La place de l’opposition ou la nécessité de préserver l’intérêt général
Les élus de l’opposition sont identifiés dans le code général des collectivités territoriales comme des « membres n’appartenant pas à la majorité ». Le droit leur laisse peu d’espaces à l’exception d’une tribune dans le magazine municipal et d’une participation aux conseils municipaux.
Concrètement, la place faite à l’opposition dépend de celle laissée par la majorité. Cette variation dépend de la maturité démocratique, de la confiance placée dans sa propre politique et aussi des qualités interpersonnelles des élus.
Pourtant, le conseil municipal ne peut pas faire l’économie d’avis différents.
Délié des intérêts particuliers, le conseil municipal peut s’arroger quasiment toutes les compétences relevant de l’intérêt général ; il est en contact avec toutes les situations et fait le lien entre toute personne vivant sur le territoire communal pour la simple et bonne raison qu’il est le pouvoir public le plus proche de l’habitant.
L’intérêt général est défini comme : “la capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer ensemble une société politique”.
Ainsi, empêcher le travail d’un conseiller municipal d’opposition, c’est priver les habitants d’une force de réflexion et de travail. C’est renier l’idéal démocratique et c’est, de facto, dériver vers un autoritarisme contraire aux intérêts d’une collectivité dans le cadre de la prise de décision.
La recherche de la meilleure décision au bénéfice de tous, objectif premier d’un conseil municipal
« La vérité jaillit de l’affrontement des idées », cette citation célèbre de Boileau est particulièrement vraie au sein du conseil municipal. Ce n’est pas en ayant les mêmes idées que le « chef » que ce dernier prendra les meilleures décisions pour la collectivité. Winston Churchill le décrivait comme suit « Si deux hommes ont toujours la même opinion, l’un d’eux est de trop ».
Être démocrate, c’est précisément savoir laisser la place à une opinion discordante, à une autre manière de réfléchir. C’est reconnaître que la tempérance d’une pensée contraire apporte une part de vérité à la mise en œuvre de l’action publique.
A mesure que le sentiment d’infaillibilité grandit chez un élu, le risque de prendre une mauvaise décision pour la collectivité se fait plus proche. Ainsi, transformer un conseil municipal en une chambre d’enregistrement incapable de réfléchir sainement aux problématiques auxquelles il est confronté revient à affaiblir la collectivité.
C’est dans ce contexte que l’information des conseillers municipaux est une des clés d’un débat utile et bénéfique à l’intérêt général. Restreindre voire bloquer l’information aux conseillers municipaux d’opposition affaiblit le débat démocratique et augmente considérablement le risque de prendre une mauvaise décision.
C’est en effet le travail du conseiller municipal d’opposition qui permettra de démontrer les incohérences et les insuffisances d’un projet évitant ainsi une mauvaise décision et, dans certains cas, une mauvaise utilisation de l’argent public.
Prévenir les situations de corruption et de conflits d’intérêts
Tout manque de transparence, toute opacité conduit au développement de la corruption à plus ou moins grande échelle. Dans notre pays où la lutte contre la corruption est relativement récente et où un certain « laisser aller » sur ce point est resté d’usage, les dernières lois mises en oeuvre (Lois Sapin I et II) et l’action de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ne permettent pas encore de rattraper les pays scandinaves dans les classements mondiaux.
Le travail du conseiller d’opposition est donc ici essentiel pour confondre les situations peu claires, les décisions visant à favoriser un intérêt particulier plutôt qu’un intérêt général. Le contrôle des actions de la majorité tend à réduire les risques de corruption ou de conflits d’intérêts.
Il est en effet depuis longtemps démontré que les formes les plus graves de corruption se développent généralement là où la compétition politique est faible.
Préparer le renouvellement pour la continuité de l’action publique
La démocratie prévoit dans son mode de fonctionnement un renouvellement à court terme de ses instances dirigeantes ; c’est la conséquence d’une compétition politique active. Il est donc très important pour les habitants que les équipes qui se remplacent soient compétentes.
Le passage par une opposition est un des moyens permettant de former à la pratique politique les personnes en capacité de succéder à l’équipe en place pour la bonne gestion des dossiers d’une commune.
Si les bonnes pratiques juridiques et comptables sont le fruit d’une administration efficace, la connaissance fine d’un territoire, la compréhension du sentiment d’appartenance des habitants et de certains usages locaux relèvent d’un travail de terrain.
Cette notion de passage de témoin, comme dans un relais, est une responsabilité politique. Il appartient à chacun de prévoir que nos successeurs maîtriseront les dossiers afin que la collectivité ne reproduise pas de façon cyclique les mêmes erreurs, ce qui revient à gaspiller l’argent public.
En définitive, une opposition laborieuse est une richesse pour une collectivité qui bénéficiera ainsi de meilleures décisions conduisant à deux conséquences très concrètes pour chacun des habitants : un impôt fixé au plus juste et un cadre de vie de la meilleure qualité qui soit sur un plan matériel (qualité des infrastructures et des services publics) mais surtout sur un plan immatériel (vivre ensemble et sentiment d’appartenance à un territoire bien géré).
Léa-Iris POGGI
Conseillère municipale
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