Rénovation du Théâtre des Sources : pour quoi faire ?
Dans le Fontenay Mag n°499, de déc 24-Janv 25 page 27 on pouvait lire : « La réhabilitation structurelle du théâtre offrira une grande polyvalence et un confort pour tous avec :
- Une salle de spectacle moderne et modulable avec des tribunes aux assises confortables et une meilleure sonorisation.
- Des espaces plus fonctionnels (stockage et déplacement de matériel, loges des artistes et la mise en place de nouvelles passerelles techniques).
- La création d’une salle de répétition.
- Une circulation des spectateurs facilitée dans l’ensemble du bâtiment ».
A lire ces quelques lignes, la réfection du théâtre se résume à une mise aux normes et à une amélioration technique de l’outil. C’était certes nécessaire, mais il n’y a pratiquement pas une ligne sur le projet lui-même. Nulle part. J’ai cherché. Autrement dit, la ville a fermé le bâtiment fin 2024 (cinéma compris, alors qu’il ne fait pas partie des espaces concernés par les travaux) pour une réouverture prévue dans le meilleur des cas en Septembre 2027(1), elle va y investir a minima 4,4 millions d’Euros (2), c’est en tout cas le budget annoncé au départ, sans s’être questionné un instant sur le projet qui allait faire battre le cœur de cet équipement tout neuf. On est dans une pure logique d’aménagement de bâtiment, mais sans l’ombre d’un objectif. Ni artistique, ni social, ni culturel. Ce sont pourtant les projets que l’on rêve de développer dans un lieu qui devraient guider son réaménagement, non ? Un théâtre plus moderne, tout neuf, à l’intérieur « bleu – nuit et champagne », oui, oui, cela été dit en réunion VSGP de présentation du projet, mais pour quoi faire ? Quel projet tout neuf et tout beau, enthousiasmant, repensé collectivement avec l’équipe du théâtre, les habitants, les élus et toutes les parties concernées, bref quel vrai projet d’éducation populaire (qui par parenthèse permettrait de trouver de nouvelles sources de financement) est-il à l’origine de cette rénovation ?
Je ne vois qu’une phrase, toujours dans le même article, qui pourrait être un début de réponse à ma question : « Le chiffre : 13 mètres de profondeur de scène contre 9 mètres actuellement (et 14 mètres de large contre les 12 existants), permettant d’accueillir des spectacles de plus grande ampleur et d’offrir un espace totalement modulable selon la configuration des représentations, la scène étant de plain-pied avec la salle.» (3). Ouf, la salle reste modulable, et ça, même si ce n’est pas une nouveauté, c’est évidemment une bonne nouvelle. Mais la première information est plus surprenante : on réduit à la jauge de la salle, qui va passer de 750 place à 410, mais on va désormais pouvoir accueillir « des spectacles de plus grande ampleur». De plus gros spectacles dans une plus petite salle ? Ah bon ? Quelle est la logique ? Economique ? Certes non. D’élargissement du public ? Non plus. Je commence par ne pas comprendre. Mais à y regarder de plus près, je crois qu’en réalité il y a une logique à cela, et qu’elle est révélatrice de l’essence du projet qui anime réellement cette rénovation.

L’enjeu est en réalité de faire du neuf et du spectaculaire, mais sans jamais poser aucune question de fond, comme si la culture avait avant toute chose un rôle d’ornementation. La ville a d’ailleurs, souvenons-nous, commencé par rénover la façade du théâtre en 2019(4). C’était évidemment le plus urgent : un bon ravalement pour rendre le bâtiment plus visible. Et maintenant, hop, un plateau pour accueillir des spectacles « de plus grande ampleur ». Nous y sommes. Comme pour l’aménagement du parc Sainte Barbe, comme pour l’installation de sculptures dans la ville, on est dans un imaginaire flou de l’ordre du prestige, de l’image, de l’ornementation, de l’ampleur quoi. La culture, il faut d’abord que ça se voit, que ça en jette. La question des enjeux ne se pose pas. Avoir un beau théâtre, même si la majorité des habitants n’y entre jamais, c’est bon pour le prestige d’une ville, et c’est bien cela qui importe.
Le gros problème, c’est qu’une fois que le projet culturel est relégué au rang d’ornement, de signe extérieur de prospérité, autrement dit, qu’il est vidé de son sens, son budget n’a plus de légitimité. En temps de disette financière – on le voit en ce moment dans de nombreuses collectivités territoriales – c’est du coup un des premiers attaqués. Puisque le théâtre ne correspond plus à aucun besoin réel, pensé. Puisque les enjeux d’éducation populaires en ont été effacés. Il est donc tout à fait urgent de réaffirmer et de repenser en profondeur les enjeux de notre politique culturelle fontenaisienne.
Voilà pourquoi je vous propose, histoire d’entrouvrir un peu les fenêtres et de créer un début de courant d’air, que nous commencions par rêver à notre théâtre, et à ce qu’il pourra être. En Mars 2026, les travaux n’en seront pas achevés, loin de là, et peut-être y aura-t-il encore des marges de manœuvres en termes d’aménagements. Et quoi qu’il en soit, cela est une certitude, il y aura un projet à refonder.
Je l’avoue, avant toute chose : je rêve d’un théâtre ouvert sur la ville et ses habitants. Tous ses habitants. Et si notre théâtre devenait accueillant ? Vraiment ? Cessait de cacher son entrée derrière des vitres teintées et des barreaux, et s’ouvrait sur l’extérieur ? Devenait poreux à la vie de la ville ? Et si son hall ne ressemblait plus à une entrée de piscine, mais devenait un espace convivial dans lequel on a envie d’entrer ? Par exemple avec un bar associatif, avec une petite terrasse prête à faire éclore quelques parasols dès les premiers de rayons de soleil ? Et si cet espace devenait un lieu de rencontres, de débats, de jeux, de rigolade, de petites formes théâtrales, musicales, de karaoké, bref un lieu pour tous, un lieu joyeux de convivialité ? Pour cela il faudrait évidemment qu’il soit au rez-de-chaussée (ce qui n’est pas du tout prévu dans le projet), directement accessible, et non plus à l’étage, et réservé de fait à quelques initiés.
Et le si le théâtre s’ouvrait sur le parc Sainte Barbe, en devenait un prolongement naturel ? Avec par exemple une programmation de théâtre de rue ? Du théâtre populaire, pour tous, là, directement au pied du théâtre ? A la fois dedans et dehors ? Si on y rentrait sans se dire : «Oh, je rentre dans un lieu qui n’est pas fait pour moi » ? Si l’on pouvait s’y abriter confortablement en cas de pluie ?
Et si le théâtre cessait de tourner le dos à la maternelle Jean Macé, à l’école du Parc, et à l’avenue du même nom ? Et si pour tout cela les espaces du théâtre n’étaient pas uniquement gérés par l’équipe du théâtre et du cinéma, mais qu’ils s’enrichissaient d’autres partenaires, en s’inspirant du fonctionnement des tiers lieux ? Il faudrait pour cela penser à la modularité des espaces, et par exemple, faire en sorte que la future salle de répétitions prévue en sous-sol puisse possiblement accueillir du public.
Et si le Théâtre des Sources s’affirmait clairement comme un lieu de rencontre des cultures ? A égalité ? Chiche ? Cultures du monde, cultures populaires, cultures de toutes les générations ? Et si on commençait par valorisait vraiment tout ce qui se passe dans ce théâtre ? Pratiques amateurs, spectacles professionnels, rencontres citoyennes ? Si l’on faisait en sorte que les gens s’y croisent, y échangent, bref, y vivent ensemble ?
Ah oui ! Une chose qui pourrait peut-être nous inspirer : le très beau nom de notre théâtre. Théâtre des sources, ne fait en effet pas uniquement référence à une spécificité de notre ville, mais également, de manière explicite, au travail du polonais Jerzy Grotowski, l’une des grandes figures du théâtre du XXe siècle, inlassable promoteur du patrimoine ethnologique mondial, et surtout du théâtral des cinq continents. Dans les années 70, le Théâtre des sources de Grotowski fût un projet soutenu par l’UNESCO, qui fit se rencontrer des artistes de toutes les générations, venus du monde entier, héritiers d’anciennes traditions rituelles et théâtrales, qui travaillèrent ensemble, à inventer collectivement de nouveaux langages artistiques communs. Grotowski parlait de « village transculturel » qui mettrait en présence acteurs et spectateurs. Pas mal ! Des créateurs illustres comme Eugenio Barba ou Peter Brook, se sont directement inspirés de cette démarche de retour aux sources, aux pratiques théâtrales les plus originelles dans un esprit d’ouverture, de métissages, de fraternité humaine. Une démarche sacrément inspirante d’ouverture, de curiosité, d’accueil…
Un beau point de départ pour rêver ensemble, non ?
Olivier Besson
(1) Calendrier des travaux fourni par Vallée Sud en réunion de présentation du projet.
(2) Voici le texte du Marché de maîtrise d’œuvre pour la réhabilitation du théâtre des sources à Fontenay-aux-Roses :
« La présente consultation a pour objet la réhabilitation du théâtre des sources à Fontenay-aux-Roses : réhabilitation intérieure du Théâtre notamment par :
400000E pour la réfection du monte-charge des décors, qui va devoir être à nouveau être refait lors de la nouvelle phase de travaux, dans la mesure où il est inadaptable au projet de réaménagement)
la mise aux normes d’accessibilité PMR
l’amélioration des performances énergétiques
la mise aux normes de l’office attenant au foyer,
la réhausse de la salle de spectacles au niveau du hall, avec la restructuration de la salle de spectacle d’une jauge minimale de 410 places,
la création d’une salle de répétition en sous-sol,
la création des locaux de stockage,
la création de locaux adaptés pour les artistes »
Le montant estimé des travaux au mois de novembre 2022 est de : 4 390 000 € HT.
(3) Toujours dans le Fontenay Mag n°499
(4)pour rappel, cette première phase de travaux a été estimée à 1.5 million d’Euros, dont :
400 000E pour la façade, l’accessibilité et le hall d’entrée.
+ installation et location d’un chapiteau provisoire de 300 places sur le terrain de football synthétique pendant les travaux du théâtre,
+ gardiennage du chapiteau : 100 000 €
+ chauffage : combien ?
+ 500 000 € : réfection le sol du terrain synthétique après démontage du chapiteau.
1 RÉPONSE
Merci Monsieur Besson, pour votre article documenté, qui pose les questions utiles et situe les enjeux véritables de la rénovation du Théâtre.
Il aurait évidemment été nécessaire que cette rénovation soit jumelée avec celle du Cinéma et de son support technique, inutilement sacrifiés dans cette aventure incertaine.
Bien à vous.
Michèle Dorothée.